Rapport : Un combat pour les droits de l’Homme au Maroc depuis 1984
ASDHOM |
Un combat pour les droits de l’Homme au Maroc depuis 1984
RAPPORT MORAL PRÉSENTÉ À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
SAMEDI 22 JANVIER 2011
Le travail, aussi modeste soit-il, qui a été mené par la présente équipe de l’ASDHOM, s’est efforcé avant tout de se conformer aux recommandations de l’assemblée élective de novembre 2008. A savoir donner une lisibilité et un sens aux actions de l’association en prenant compte la situation des droits de l’homme au Maroc et de son évolution, ainsi que celle des migrants marocains en France.
Nous sommes conscients que le combat en faveur des droits humains, n’est pas une chose aisée. Il exige de nous d’avoir à l’esprit et en permanence les fondamentaux qui régissent notre action, à savoir les principes liés à l’universalité des droits humains tels qu’ils sont définis par les déclarations, conventions et pactes internationaux.
Le travail de l’ASDHOM est lié au contexte qui prévaut dans notre pays au niveau du champ des droits des citoyens marocains.
Les deux années qui viennent de s’écouler, sont marquées par la persistance de violations des droits élémentaires. Alors que l’Etat persiste, par le biais de ses différents organes à nier l’évidence ou à vouloir justifier ou à minimiser les exactions commises.
En effet, le mouvement des droits humains est amené, non seulement à recenser, sensibiliser et à dénoncer les violations commises, mais également à faire face à un discours du pouvoir qu’il ne cesse de marteler et que ses offices et organes véhiculent à chaque circonstance. Son message est limpide : une nouvelle ère des droits humains s’est instaurée, fruit de la dynamique et du travail effectué par l’IER. Donc, pour lui une rupture serait faite avec le passé.
Personne ne peut nier les avancées réelles, comparées aux décennies dites de plomb. Ces acquis ont été surtout le fruit des grandes luttes des victimes, de leurs familles et de l’ensemble des forces démocratiques et progressistes, dont le mouvement des droits humains est partie intégrante.
En dépit de ce semblant d’embellie, le constat est loin d’être rayonnant et satisfaisant.
En premier lieu, la plupart des recommandations de l’IER (Instance Equité et Réconciliation, créée en 2004), sont en attente d’une hypothétique concrétisation.
L’IER, au-delà des appréciations portées en son temps par les uns et les autres, a formulé en 2006, des recommandations dont la mise en application et le suivi ont été confiées au CCDH (le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme).
Ces recommandations ont suscité pour les victimes de la répression et pour leurs familles, mais également pour l’ensemble du mouvement de défense des droits humain, un peu d’espoir et d’espérance, mais également des frustrations et des insatisfactions.
Parmi les recommandations importantes qui ont été faites par l’IER pour que les violations graves ne se répètent plus. Il s’agit essentiellement :
du renforcement de la protection constitutionnelle des droits humains (notamment par la stipulation, dans la constitution de la priorité des conventions internationales sur la législation interne),
de la ratification d’un certain nombre de conventions (deuxième protocole facultatif, annexe au Pacte concernant l’abrogation de la peine de mort, l’adhésion à la Cour pénale internationale),
de la levée des réserves sur les conventions ratifiées – cas notamment de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination,
du renforcement de l’arsenal juridique en faveur des libertés individuelles et collectives,
de la pénalisation des violations graves des droits humains,
de la mise en place d’une stratégie de lutte contre l’impunité. Ce qui implique une remise à niveau de la politique et de la législation pénale, qui rende la justice marocaine indépendante, avec une bonne gouvernance dans le domaine sécuritaire et la promotion des droits humains, à travers l’éducation et la sensibilisation.
Toutes ces recommandations, ont été considérées comme positives par le mouvement des droits humains et ce dernier n’a pas cessé de critiquer et de dénoncer le retard dans la mise en pratique de ces préconisations.
A titre d’exemple, de cet écart entre le discours officiel et la réalité: Jusqu’à ce jour, aucun décret d’application na ainsi été adopté par le Gouvernement pour la mise en œuvre d’une déclaration royale qui annonçait en décembre 2008 la levée les réserves émises en 1993 lors de la ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination a l’égard des femmes.
IER l’a recommandé en 2006, le Roi l’a annoncé en 2008… et nous sommes déjà en 2011, en attente de la publication d’un décret, et n’en parlons même de la date de l’entrée en vigueur et de son application éventuelle…
D’autre part le travail de l’IER a généré des frustrations. En absence de la vérité espérée sur les différentes violations graves dont elle était en charge d’étudier et d’élucider durant la période de référence, des proches des victimes se sont senties flouées.
Des conclusions de l’IER, qui ont été réaffirmées par le rapport final du CCDH, laisse un goût amer quant aux attentes des familles des victimes.
A titre d’exemple, l’IER et relayé par la suite par le CCDH, s’est obstiné à déclarer que 742 cas de présumés disparus ont été élucidés et que 66 restaient en suspens, sans publier la liste des dites victimes pour permettre à l’opinion publique de savoir de qui il s’agit. D’autant plus que ce nombre est bien faible par rapport aux milliers de victimes. Leurs familles et leurs proches sont à la quête de la vérité. Pas de révélations non plus sur des dossiers emblématiques comme celui de l’enlèvement et de l’assassinat de Mehdi Ben Barka et de Houcine Manouzi. Le sort réservé à El Ouassouli. Les conditions de la mort sous la torture de nombreux militants, tels que Zeroual et Tahani… La vérité sur les lieux de détention et de torture, comme le fameux PF3.
Des affaires importantes sont restées sans réponse. On a eu droit à quelques vérités partielles sur les dossiers de la répression et des soulèvements populaires de mars 1965 et de juin 1981 à Casablanca, de janvier 1984 dans les villes du Nord, du 14 décembre 1990 à Fès, la révolte des Oulad Khalifa, réprimée dans le sang en 1971…
Le rapport de l’IER n’a pas traité de la responsabilité des différentes institutions et appareils d’État, telle que du rôle de l’armée, de la police, de la gendarmerie, des différents services secrets, du ministère de l’Intérieur, des gouverneurs et autres autorités locales, de la justice…
La liste est longue…
Amnesty International, dans un rapport intitulé «Les espoirs brisés», résume ce constat en déclarant qu’«en dépit des promesses, la vérité sur les violations graves du passé n’a été que partiellement dévoilée, l’impunité pour les auteurs reste totale et que les réformes institutionnelles et juridiques ne sont pas à l’ordre du jour».
HRW, dans un communiqué daté de janvier 2010 à l’occasion de son rapport annuel, reproche au gouvernement marocain de n’avoir pas «mis en œuvre la plupart des réformes institutionnelles recommandées par l’IER pour prévenir les violations dans l’avenir »
Effectivement, une telle exigence de la vérité, ce n’est pas seulement pour des raisons humaines pour permettre aux familles de faire dignement leur deuil, mais c’est également pour fonder les jalons de « plus jamais ça » et pour promouvoir l’impunité comme référentiel qui s’imposerait à tous les auteurs des exactions commises.
Durant les deux années (2008 – 2010) du mandat de la présente équipe dirigeante de l’ASDHOM, nous avons fait le constat d’une régression qui inquiète tout observateur.
Un simple récapitulatif de certaines violations médiatisées, avérées et relevées par les ONG marocaines ou internationales, comme Amnesty International, FIDH, Human Right Watch…, témoigne de la gravité de cette évolution et qui peut s’apparenter à du déjà vu ou vécu.
Vous trouverez dans les brochures récapitulatives des communications de l’ASDHOM pour les deux années écoulées, mises à votre disposition (disponible aussi sur le site HYPERLINK « http://www.asdhom.org » www.asdhom.org), quelques unes des violations constatées dont nous avons eu à intervenir durant cette période.
Néanmoins nous voulons attirer l’attention sur certaines atteintes graves qui nous paraissent significatives de la situation des droits humains au Maroc:
La persistance de la politique des enlèvements et des arrestations arbitraires. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, les forces de police procèdent à des interpellations, voir des enlèvements en dehors de tout cadre juridique. A tel point que le centre de Temara, vient de s’ajouter à la triste liste des lieux de détention et de torture qui ont marqué l’histoire du Maroc des années de plomb.
Les tribunaux sont mis à contribution pour réprimer des manifestants arrêtés suite à des mouvements sociaux, des étudiants, des syndicalistes, des défenseurs des droits de l’Homme, des jeunes diplômés chômeurs, des islamistes présumés terroristes, des Sahraouis, des journalistes…
Citons à titre d’exemple les jeunes étudiants arrêtés et condamnés à Marrakech, Agadir, Fès… Les manifestants de Sidi Ifni, de Séfrou… Les syndicalistes de SMESI et de Ouarzazate, les islamistes affiliés à Adl Oua Il hssane, Salafia Jihadia, le groupe Belliraj, dont les 6 militants politiques intégrés d’une façon arbitraire et inique à ce groupe…
Des dizaines de jeunes se retrouvent, du jour au lendemain, enlevés, torturés et condamnés ou croupissent dans les geôles du royaume en attente d’un éventuel jugement pour le seul fait qu’ils sont soupçonnés d’avoir des intentions ou un quelconque lien avec un supposé réseau terroriste. C’est l’arbitraire le plus total. De nombreux jeunes franco-marocains subissent les effets néfastes de la loi dite anti-terroriste de 2003. Certains témoignages de leurs proches qui nous ont contactés sont accablants.
Les atteintes à la liberté d’association et de manifestation sont omniprésentes.
Alors que la liberté d’association au Maroc est garantie par la Constitution (article 9), les autorités locales s’obstinent à refuser dans certains cas la délivrance du document qui constitue la preuve du dépôt du dossier et qui fait courir un délai de deux mois, suivant lequel une association est légalement créée.
Par exemple, l’Association nationale des diplômés chômeurs au Maroc (ANDCM) et le Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et des migrants (GADEM), qui ont déposé respectivement en 1991 et en 2006 une déclaration de fondation au siège de la wilaya de Rabat-Salé-Zemmour-Zair, n’ont toujours pas obtenu de récépissé. Quelques fois, les autorités locales refusent même d’accepter la déclaration présentée par les représentants d’une association pour son enregistrement. C’est le cas de l’association Ennassir pour le soutien des détenus islamistes, et de l’Association sahraouie des victimes de violations des droits de l’Homme (ASVDH). Sans récépissé provisoire, une association ne peut mener pleinement ses activités puisqu’elle n’est pas autorisée à louer un local, ouvrir un compte bancaire, percevoir des fonds ou des cotisations, ou encore organiser une manifestation dans un espace public. Les membres de ces associations sont par ailleurs susceptibles d’être poursuivis en justice pour « appartenance à une association non reconnue”, en vertu de l’article 8 de la loi sur les associations.
Entraves à la liberté de rassemblement pacifique
Les rassemblements pacifiques organisés en faveur de la défense des droits socio-économiques des citoyens sont souvent sévèrement réprimés. C’est le cas des sit-in organisés par exemple par les diplômés chômeurs, les populations victimes et laissées pour compte suite à des inondations, les familles protestant contre leurs conditions de logement insalubre, les ouvriers licenciés abusivement…
Les dramatiques et violents accrochages qui ont suivi le démantèlement du camp de Laâyoune en novembre 2010, témoignent de la vision sécuritaire qui régit les interventions des autorités pour répondre aux demandes et exigences des populations.
Poursuites et condamnations des défenseurs qui mettent en cause la responsabilité des autorités dans des affaires de trafic de drogue. En 2009, deux défenseurs ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison ferme. M. Chakib El-Khayari, président de l’Association du Rif des droits de l’Homme (ARDH) et membre du Conseil fédéral du Congres mondial amazigh (CMA), a été condamné en appel par le Tribunal de Casablanca à une peine de trois ans de prison et à une amende de 750 000 dirhams. Par ailleurs, M. Hassa Barhoun, représentant au Maroc de la Fondation palestinienne pour les droits humains (Monitor), blogueur et journaliste pour le site Internet sans frontières, a été arrêté le 26 fevrier 2009 et condamné le 8 mars 2009 par le Tribunal de Tétouan à six mois de prison et à 5 000 dirhams d’amende après la publication d’un article mettant en cause la responsabilité du procureur général du Roi du Maroc près la Cour d’appel de Tétouan dans l’évasion d’un trafiquant de drogue.
Atteinte à la liberté de déplacement :
De nombreux militants sont harcelés et empêchés de circuler librement. L’épisode de l’expulsion de la militante Sahraouie Aminatou Haydar, avant de l’autoriser à regagner le pays après une longue grève de faim et une mobilisation internationale, ce qui n’honore en rien l’image du Maroc. L’arrestation et la poursuite de militants sahraouis suite à leur retour au Maroc, pour avoir été en Algérie et dans les camps de Tindouf. Le refoulement du Défenseur des droits humains, le tunisien Kamel Jendoubi. L’interdiction faite à de nombreux observateurs (journalistes et parlementaires étrangers) de se déplacer au Sahara pour enquêter et s’informer sur les événements sanglants qui ont secoué Laâyoune dernièrement…,
La liberté de presse est mise à mal :
Plusieurs procès ont été intentés contre des organes de presse comme al-Ahdath, al-massae, al-jarida al-Oula, Akhbar al-Yaoum, al-Michaâl…
Parfois des mesures administratives arbitraires ont été effectuées sans en référer au préalable aux instances juridiques, comme la fermeture des bureaux, gel de comptes, saisie et destruction des exemplaires.
Des internautes ont été poursuivis, c’est le cas de Bachir Hazzam et Abdellah Bougfou à Guelmim.
L’interdiction et la destruction de 50000 exemplaires, d’un numéro de la revue Tel quel et Nichane.
La saisie des biens du « Journal Hebdo » et « Économie et entreprises »
L’interdiction occasionnelle de certains numéros de journaux étrangers lorsqu’ils traitent des affaires jugées portant atteinte aux « sacro-saintes lignes rouges ».
La fermeture des bureaux de la chaine Al Jazzera et le renouvellement des accréditations à ses correspondants locaux.
Les libertés syndicales et les droits des ouvriers en général sont bafoués. En plus des licenciements abusifs et illégaux et de la violation du Code du travail, nous assistons à une recrudescence des violences à l’encontre des luttes syndicales, qui prend assez souvent la forme des dispersions musclées des rassemblements, l’arrestation et la condamnation des syndicalistes. L’exemple des 850 ouvriers licenciés de la société SMESI REGIE du Groupe OCP en témoigne
L’instrumentalisation des tribunaux pour réprimer les détenus dans le cadre des mouvements sociaux (cas de Sidi Ifni, d’Igli à Missour contre la confiscation de leur terre, et dernièrement à Mohammedia pour les victimes des inondations…).
Droits des migrants
La politique répressive à l’encontre des migrants est permanente. Ces derniers ne bénéficient pas de la protection à laquelle ils peuvent prétendre ou même de la possibilité de contester leur expulsion devant une quelconque juridiction. La chasse aux migrants se poursuit, par le biais de véritables rafles. Des migrants sont battus et maltraités au moment de leur interpellation, durant leur détention ou lors de leur expulsion. Certains sont abandonnés, dans des conditions inhumaines, à la frontière algérienne ou mauritanienne.
La presse internationale a relayé les incidents qui se sont produits à la frontière avec Melilla, lorsqu’un groupe d’une cinquantaine de migrants avait tenté d’escalader le grillage de séparation : 1 mort et des dizaines de blessés et d’arrestations.
Réfugiés et demandeurs d’asile
Bien que le Maroc soit partie à la Convention de 1951 et au Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, les autorités ne délivrent pas de carte de séjour, entre autres documents nécessaires, aux réfugiés reconnus comme tels par le Haut- Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Des réfugiés qui ont organisé un sit-in devant le bureau du HCR à Rabat pour protester contre leurs conditions de vie et réclamer leur réinstallation dans un pays tiers, ont été violemment dispersés. Cinq réfugiés ont été interpellés ; ils ont été condamnés à un mois d’emprisonnement avec amende.
Les ressortissants marocains de l’étranger :
Ces migrants, qui doivent faire face aux différentes politiques restrictives et discriminatoires des pays d’accueil dont la France, ne peuvent prétendre à de plus amples droits par leur pays d’origine. En effet le Maroc, continue de s’intéresser à eux, uniquement pour leur apport à l’économie nationale en termes de transferts financiers, investissements, aides familiales pour atténuer les conditions de vie de leurs proches…mais, nullement en termes de droits. Ils sont toujours privés de leur droit élémentaire de pouvoir participer aux élections législatives du pays. Les différentes conventions signées avec les pays européens, ne prennent pas en compte les besoins et les attentes des marocains de l’immigration, pour permettre par exemple aux retraités de vivre convenablement leur reste de vie, aux conjoints de bénéficier du regroupement familial… D’autre part, le Maroc, est parmi les pays qui intensifient les collaborations au niveau des consulats et des ambassades pour faciliter les expulsions de ses ressortissants.
C’est dans ce contexte général de violations des droits que l’actuelle équipe animatrice de l’ASDHOM a œuvré modestement à la sensibilisation de l’opinion publique et à faire entendre la voix des démocrates et progressistes marocains en France pour que le Maroc rompe définitivement avec son passé peu glorieux et s’érige en un véritable Etat de droit.
Assemblée générale de l’ASDHOM
Samedi 22 janvier 2011
Paris
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